Il venait de sortir d’une relation de 15 ans
Sa femme avait foutu le camp
Sans même crier gare
Elle avait perdu tout espoir
Et pris la poudre d’escampette
Le laissant avec un goût de défaite
Il se trouva désemparé
Rien n’aurait pu présager un tel rejet
Tant d’amour donné
Pour finir lâchement esseulé
Il tenait le monde entier responsable
De cet abandon impardonnable
Il n’avait pas encore d’enfant
Croyant qu’ils arriveraient avec le temps
Son travail le maintenait à flot
Mais il le voyait comme un fardeau
Il ne trouvait plus de sens à sa vie
Ne pouvant la partager avec autrui
Les pensées macabres allongeaient ses nuits
Il vivait d’épuisantes insomnies
Après avoir infiniment tournoyé dans son lit
Il tenta d’apaiser son esprit
Il se leva d’un bond,
Attrapant avec nonchalance son veston
Il se laissa guider par ses pas
Sans plus savoir ce qu’il cherchait dans l’agora
Tout lui semblait morose
Les ruelles noires comme les briques roses
Pas âme qui vive à des kilomètres,
Au moins, personne ne jugerait son être
Son regard tomba sur une ombre
Se détachant voluptueusement dans la lumière sombre
Il la vit avancer en sa direction
Qui osait déranger son intime affliction ?
Son cœur commença à s’emballer
Il faillit déguerpir à grandes enjambées
Mais la gracieuse biche arriva vite à son museau
Parfum ambré et talons hauts
Elle lui demanda sans attendre
« Que cherches-tu ici, mon cher et tendre ? »
Il lui répondit sans réfléchir :
« J’essaie d’arrêter de souffrir »
« Pourquoi ta peine est si grande ? »
« Je suis victime d’un monde qui me transcende »
Il se livra sans détour à l’inconnue
Dans une litanie immature et continue
Elle coupa doucement la parole du cador :
« Crois-tu donc être irresponsable de ton sort ? »
Il fit la moue sans broncher
Le visage discrètement enténébré
Il avait envie de mourir
Il ne décrocherait plus un sourire
Elle sentit son aigreur
Le sortit de sa torpeur
« Peu importe les épreuves difficiles que tu vis
Rien n’est jamais définitivement établi
Car rien n’est immuable ici-bas
Chaque expérience se transforme à grands pas
Tout passe, dans notre existence
Qu’il s’agisse de la joie ou de la souffrance. »
Elle lui fit promettre deux choses
Réfléchir à ce qui l’avait mené à une telle névrose
Sans accabler le monde de son malheur
Peser le poids de ses propres erreurs
Comprendre qu’il jouait un rôle
Dont seul lui pouvait prendre le contrôle
Puis, accepter d’en parler,
Au risque de se faire critiquer
Puiser de l’aide auprès de ses alliés
Leur demander surtout leur honnêteté
Arrêter d’attendre d’autrui
De le materner ou d’éviter les conflits
Il rentra chez lui, déboussolé
Et entama une réflexion sur son passé
Il s’avoua être en dépression
Depuis un temps infiniment long
Et avoir été invivable,
Dans les périodes de doutes insoutenables
Il comprit sa bien aimée
De ne pas avoir pu rester
Les années l’avaient transformé
En un gros ours mal léché
Il commença aussi
À accepter la franchise de ses amis
Après de longs mois indécis,
Il reprit progressivement goût à la vie
À force de se répéter la sentence
« Tout passe, même la tristesse intense »
Il se réconcilia avec l’absence d’éternité
Sa perdition n’était ni fatalité, ni finalité
Au détour d’une randonnée
Le regard ouvert sur l’altérité
Et prêt à escalader des montagnes
Il rencontra sa nouvelle compagne
Colorant un monde artificiel
D’affables arcs-en-ciel
Le pas dansant, il retourna
Dans la ruelle de Sacha
Il était reconnaissant et satisfait
De l’aide qu’elle lui avait prodigué
Heureux de voir son profil apparaître
Il s’approcha doucettement de son être
« Je voulais te remercier,
Tes paroles m’ont à jamais changé »
Elle lui sourit, sans un bruit
Le cœur chaleureusement épanoui
Il lui confia que grâce à elle
Il se sentait pousser des ailes
« Et qu’as-tu appris, de cette histoire ? »
« Qu’il existe une lumière, même dans le noir. »
« C’est une très bonne nouvelle.
Mais tu sembles oublier un élément essentiel. »
« Je ne vois pas, lequel ? »
« Que rien n’est éternel. »
« Mais voyons, je suis heureux !
Je ne souhaite plus de tournant malencontreux. »
« Pourtant, les choses sont ainsi
Tu connaitras encore la peine dans ta vie. »
Il la regarda, sans plus savoir
S’il avait toujours envie de la croire
Une fois chez lui, tout penaud
Il abandonna définitivement son fardeau
La béatitude ne tenait qu’à un fil
Dont il fallait apprécier la nature mobile
Chaque instant détenait, en son naturel rieur
Une part d’indocile splendeur